Chef d'oeuvre
Il m'arrive assez fréquemment de regretter de ne pas avoir d'appareil photo sur moi. Parce que certaines images qui s'offrent à mes yeux ont quelque chose qui me plaît énormément, un petit détail qui me touche plus profondément, qui me parle plus intimement. Parce que je voudrais pouvoir m'en souvenir longtemps, même après que des kilomètres et des kilomètres de paysage aient défilé derrière.
Mais aucune photo ne saurait rendre les mêmes impressions qu'avait procuré l'image originelle. Car la photo n'est rien de plus qu'une bête image, si réussie soit-elle ; alors que ce qui nous a procuré une telle émotion était bien plus qu'une image. C'était un environnement, une atmosphère, un état d'esprit, un contexte, une ambiance, bref, une combinaison des plus complexes d'éléments les plus hétéroclites. C'était un tout, un immense tout qu'on ne pourrait en aucun cas emprisonner dans quelques centimètres carrés de papier glacé. Pas plus qu'on ne parviendrait à le décrire avec de simples mots. Notre vocabulaire ne sied guère que pour décrire le visuel, et éventuellement l'auditif. Pour de telles choses, il n'y a pas réellement de traduction possible.
D'ailleurs, je venais de vivre un tel moment. Avec elle. Écroulés dans un parc, comme à notre habitude, au bord de l'eau. À un moment, elle s'est relevée pour s'asseoir, et a regardé au loin. Rien que ça, déjà, c'était beau : son visage, son regard, le tout avec les arbres et l'eau comme arrière-plan. En fait, quels que soient l'endroit et le contexte, sa présence suffisait à ajouter plus de beauté que de nécessaire. Mais là, il a suffi que je me relève aussi, et que je m'arrête une dizaine de centimètres avant que sa joue soit à portée de mes lèvres. À ce moment là, c'était plus que beau. C'était une œuvre d'art.